Une idée, sans doute reçue, veut qu’en Guinée la proportion de filles célibataires soit nettement supérieure à celle des hommes du même état civil. Aucune étude n’existe pour étayer cette affirmation, ceux qui la colportent se fondant en général sur les données de quelques foyers où le nombre de filles domine celui des garçons. Toujours est-il que des contingents entiers de célibataires hommes sont convaincus qu’il existe tellement de princesses au cœur à prendre qu’ils auront l’embarras du choix le jour où ils se décideront de convoler en noces et qu’avec un peu de chance ce sont ces princesses qui viendront demander carrément leur main !
Seulement, il y a cet impitoyable proverbe peul qui enseigne que « Mö yawi kouthioun ö souwâki » que l’on pourrait traduire littéralement par « celui qui minimise un morceau de viande n’est pas circoncis ». Autrement dit, sous-estimer un défi que l’on n’a pas affronté relève de l’imprudence ou de l’ignorance. Et, en dépit des apparences, le défi du mariage en milieu peul (de Guinée) n’est pas une mince affaire… Preuve par cinq.
Le choix de l’épouse : En fait de choix, c’est à une véritable quête que le mâle sera soumis. Vous ne le saurez que quand vous y serez confronté. On a beau supputer que les filles célibataires sont à ramasser à la pelle, parvenir à dégoter l’une d’elles peut se révéler un réel parcours du combattant. Trois raisons à cela : la religion (l’islam) qui interdit d’avoir une relation avec sa future épouse avant le mariage, la famille qui détient le vrai pouvoir décisionnel et l’endogamie quasiment érigée en règle. A la fac, ton cœur d’étudiant célibataire s’emballe pour une belle fille que tu as vu faire mijoter des dizaines de marmites de mangues. Tu en parles au « vieux », qui en parle à son frère et voilà ton oncle qui te soupçonne de velléité d’épouser ton ex-copine et t’impose l’une de ses boutonneuses filles. Si tu n’as pas de charisme, c’est-à-dire pauvre comme un étudiant de province, l’affaire est pliée. Si au contraire, tu as voix au chapitre, on passe par les liens familiaux pour te flanquer une pression qui t’oblige à accepter « Binta », ta cousine, comme femme. Les parents font les démarches nécessaires et on passe à l’étape suivante.
Le mariage religieux : C’est l’affaire des sages. Le mariage religieux est généralement scellé à la mosquée entre les deux familles devant les notables. Il précède obligatoirement celui civil. La présence des mariés n’est pas requise, celle de la fille étant même proscrite dans certains cas. La procédure, d’une durée variable, est un mélange de questions-réponses ponctuées d’une litanie de bénédictions extraites du Coran. Des enveloppes font la navette. Le minimum de la dot tourne autour de 500.000 GNF, sans maximum. Elle peut grimper suivant la richesse de l’homme ou la beauté de la femme ! Presque toutes les femmes peules étant belles, 500.000 GNF c’est prix de l’eau. La dot est accompagnée d’un lot de noix de cola au nombre impair (généralement 101), artistiquement emballé dans de larges feuilles sauvages nouées à l’aide des ficelles artisanales, le tout formant une longue tige verticale qui évoque un phallus en érection gorgé de Viagra. Tout un symbole.
La cérémonie traditionnelle : Le rite traditionnel du mariage chez les Peuls a fortement subi l’influence de la modernité et s’est enrichi d’autres cultures. Il n’est pas homogène et peut différer d’un clan à un autre, voire d’une famille à une autre. On retrouve cependant quelques traits communs dans la couleur : « Diomba » (la mariée) est d’abord drapée dans une toile blanche non cousue qu’elle remplace ensuite par un joli complet de couleur rouge. Pour accentuer la beauté de ce complet, la modernité veut qu’il soit recouvert d’un tapis de billets de banque neufs, tout comme le parapluie, également rouge, que tient la mariée. Comptez entre 200.000 et 500.000 GNF pour cette opération esthétique. A ce niveau, je me permets de commettre un délit d’initié : mettez le montant le plus élevé et faites en sorte que le complet soit cousu le maximum de gros billets. Achetez une lame et attendez le lendemain de la cérémonie, où vous serez plus fauché qu’un rat d’église, pour vous attaquer sans scrupule au complet de Mme. Ça s’appelle du « donnant donnant ».
La cérémonie civile : Elle représente tout ce qu’il y a de brillant, de bruyant et d’abondant. Un mariage civil en milieu peul, c’est d’abord de la bectance à foison. On ne lésine pas sur les moyens pour nourrir les invités dont on ne connaît jamais le nombre exact. Ce sont des mètres cubes de fonio et de Latsri-et-Kossan, les deux plats traditionnels, qui sont engloutis en quelques heures. Du début à la fin, il faut que les gens mangent, boivent et s’amusent. Pour la brillance, la mariée est au centre du soleil. Avant de se présenter devant l’officier de l’état civil pour la signature de l’acte du mariage, votre princesse passe de longues heures dans un salon de coiffure où elle doit subir une opération chimique esthétique qui la transformera de fond en comble. Le saupoudrage peut la rendre méconnaissable (parfois de beauté, parfois de quelque chose d’indéfinissable). Puis, la miss factice est escortée dans un vacarme assourdissant de motos et de voitures. Destination, la « Réception ». Avant, au village, les femmes se réunissaient autour de « Diomba » et chantaient de belles mélodies traditionnelles. Ça, c’était avant. Maintenant, ce sont des artistes, facturant leur prestation à prix d’or, qui prennent possession de l’arène. Ils enchaînent les dédicaces et dépouillent tout le monde jusqu’à épuisement.
Le budget : Combien coûte un mariage chez nous ? Nul ne le sait avec précision. Tu fais l’intello, tu consultes et crées un tableur Excel sophistiqué pour inscrire toutes les lignes des dépenses. Le jour du mariage, on te sort des charges insoupçonnables qui rendent totalement caduques tes prévisions. Entre les entrées, faites des contributions des proches, parents et amis, et les sorties incontrôlées qui coulent de tes poches, difficile d’appliquer une quelconque opération comptable. De toute façon pour espérer s’en sortir, débrouillez-vous pour que le montant de la ligne des imprévus soit égal ou supérieur au total du budget. Si après tout ça tu râles, on a une formule couperet pour te recadrer : « Fâaladho djwö bhé haylaymbha». Son équivalent en français serait « l’homme en quête d’épouse doit mouiller le maillot ». En Poular, le sens de l’expression est un peu plus ambigu et pourrait signifier : « L’homme en quête d’épouse doit secouer (sous-entendu le pantalon, ou bien les bijoux que cache celui-ci) ». Vous voilà avertis, chers célibataires.
Source: Ma Guinée plurielle